Quand peut-on refuser un interrogatoire statutaire?

Qu’est-ce qu’un interrogatoire statutaire en assurance?

L’interrogatoire statutaire est un outil dont dispose l’assureur afin de mener son enquête sur l’assurabilité d’un assuré et sur les circonstances d’un sinistre, notamment pour se protéger contre la fraude et les déclarations inexactes. Lors de cette procédure, l’assuré sera assermenté, ce qui confère à son témoignage la même valeur légale qu’à un témoignage en cours. Il sera ensuite questionné, avec la présence de son avocat s’il le désire, sur tout ce qui touche de près ou de loin au sinistre et potentiellement sur la souscription à l’assurance en cause.

Or, durant le processus de réclamation, il n’est pas rare que l’assuré ait à répondre plusieurs fois aux mêmes questions. Un premier appel avec l’assureur, des rencontres avec l’expert en sinistre, un interrogatoire statutaire...  Il s’agit d’un procédé long et fastidieux que l’assuré voudrait assurément écourter le plus possible. 

Quels sont réellement les droits et les obligations de l’assuré dans un tel contexte? Quand l’assuré peut-il dire qu’il ne veut plus se prêter à de nouvelles interrogations? L’assureur peut-il le forcer à se prêter à cet exercice? Et que risque l’assuré s’il refuse?

Les limites de la collaboration entre l’assureur et l’assuré encadrée par l’article 2471 C.c.Q

Bien que la tenue d’interrogatoires soit une pratique courante en droit des assurances, le Code civil du Québec ne prévoit pas spécifiquement que l’assuré s’y prête. En effet, l’article 2471 stipule que l’assuré doit « faire connaître à l’assureur toutes les circonstances entourant le sinistre, […]  lui fournir les pièces justificatives et attester, sous serment, la véracité des renseignements fournis. ». On requiert donc comme seule formalité que la véracité des documents et informations soit assermentée.  

Or, même si la déclaration assermentée et l’interrogatoire statutaire constituent tous les deux des déclarations sous serment, les tribunaux ont longtemps considéré l’interrogatoire comme un moyen privilégié pour attester de la véracité des faits. Ainsi, selon plusieurs décisions, le refus de se soumettre à un interrogatoire statutaire contrevient à l’obligation contractuelle de collaboration, menant à une potentielle négation de la couverture.

La jurisprudence est malheureusement peu abondante sur le sujet, mais plusieurs décisions viennent renforcer l’idée que la tenue d’interrogatoire statutaire est nécessaire pour remplir la collaboration entre l’assureur et l’assuré. Il est toutefois parfois établi que l’assuré a rempli son devoir de collaboration même s’il ne s’est pas livré à un interrogatoire statutaire en bonne et due forme.

L’honorable Jean Crépeau écrivait notamment dans Nordique, Cie d’assurance du Canada c. Imperial Tobacco[1] :

[67] Le droit de l’assureur d’interroger un représentant de l’assuré est consacré dans l’article 2471 et dans la jurisprudence. L’interrogatoire est une extension de ce droit d’obtenir une déclaration assermentée.

[68] L’assurée ne peut refuser de s’y soumettre sous peine de voir l’assureur lui nier couverture. 

Il en est de même dans Centre de développement familial provincial (1978) inc. c. Axa Assurances inc.[2], lorsque l’assuré avait transmis touts les documents pertinents au litige sans se soumettre à un interrogatoire statutaire.

[141]      En l’instance, l’assureur était d’avis que les circonstances de l’incendie du 10 mars 2001 permettaient d’inférer qu’il avait été allumé délibérément.

[142]      Axa était donc justifiée de faire enquête de façon plus exhaustive et le Centre devait dès lors lui fournir toute sa collaboration.

[143]      Dès que l’expert en sinistre désigné à cette fin, Jean-Luc Langlois (Langlois) s’est présenté à Nicole Lafond accompagnée de son avocat à l’époque, la demanderesse s’est braquée et a refusé de collaborer au‑delà des documents qu’elle avait déjà acheminés à l’assureur.

[144]      Malgré que le droit de l’assureur d’interroger un représentant de l’assuré soit consacré dans l’article 2471 C.c.Q et dans la jurisprudence, le Centre s’est objecté à la tenue d’un « interrogatoire statutaire ». Et après qu’il y eût consenti, il a cherché à en limiter le contenu et permettre que seule Nicole Lafond ne soit interrogée.

[145] Cette obligation de collaborer est évidemment stipulée en faveur de l’assureur. Elle vise à permettre à l’assureur, le payeur, de vérifier notamment la réalité du sinistre, les circonstances qui l’entourent, sa cause probable et l’étendue des dommages.

[146] Dans l’arrêt Milinkovitch de la Cour d’appel, le juge Casey écrivait qu’on ne pourra reprocher un assuré de bonne foi qui aura rempli imparfaitement les formalités relatives aux preuves de perte si, par ailleurs, il l’a fait de façon substantielle.

[147]      Or, en l’instance, la preuve a établi que la demanderesse n’a pas rempli d’une façon substantielle son obligation lui découlant de l’article 2471 C.c.Q et du contrat d’assurance. Sur les conseils de son avocat, elle a fait preuve d’un entêtement injustifiable face aux demandes raisonnables de Axa.

[148]      Dans les circonstances, le Tribunal aurait conclu que le Centre ne s’est pas conformé à cette obligation de collaborer, entraînant, par là la déchéance de son droit à l’indemnisation.

Le juge voit donc de manière défavorable le fait de tenter de limiter le contenu de l’interrogatoire et de n’accepter qu’un seul des représentants de la personne morale ne soit interrogé. Or, Utica Mutual Insurance Company c. Aspler, Goldberg, Joseph Ltd. [3] fait état de tout l’inverse.

En effet, l’arrêt Cie d’assurance Canadienne Mercantile c. Milinkovitch[4] fait état d’une autre condition pour donner une marge de manœuvre à l’assuré : celle de sa bonne foi.

Ce principe est repris dans Utica Mutual Insurance Company c. Aspler, Goldberg, Joseph Ltd.[5], où le refus de l’assuré de se soumettre à un interrogatoire statutaire n’entraîne pas une perte du droit à l’indemnisation puisque ce dernier fait preuve de bonne foi.

Puisqu’une entrevue avait déjà été faite avec un représentant d’Aspler, Goldberg, Joseph Ltd., que le refus n’a pas empêché l’assureur d’obtenir toutes les informations pertinentes liées au sinistre et que l’assuré était de bonne foi, la juge conclue que l’assuré n’a pas manqué à son obligation de collaborer au sens de l’article 2471 C.c.Q.

L’Honorable juge Francine Nantel souligne également ceci :

[38] Avec égards pour l’opinion contraire, une déclaration sous serment diffère grandement d’un interrogatoire statutaire. Il est vrai qu’en pratique, l’interrogatoire est un mode retenu par les assureurs afin de connaître les circonstances de la réclamation, mais l’assuré n’a aucune obligation légale de s’y soumettre.

[39] Au surplus, l’assureur n’a aucunement été empêché de faire sa propre enquête. AGJ n’a pas refusé de raconter ce qu’elle connaissait de l’histoire. D’ailleurs, l’échange de correspondance démontre qu’il y a déjà eu rencontre entre l’assureur et l’assuré. L’information capitale, selon ERG, que l’assuré était en mesure de livrer en 2003, peut encore l’être. Il est vrai de dire qu’à une certaine période l’assuré s’opposait à subir un interrogatoire statutaire même si par la suite il accepta de s’y prêter, mais l’assureur avait en main l’information nécessaire. La mauvaise foi de l’assuré est loin d’avoir été démontrée.

D’autres circonstances peuvent également excuser la non tenue de l’interrogatoire. Dans Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., l’interrogatoire n’a pas pu avoir lieu, dû au départ imminent du procureur de l’assureur. L’assuré a tout de même transmis toute la documentation requise, et a donc remplie son obligation de collaborer.

Conclusion

Bref, il semblerait qu’en règle générale l’interrogatoire statutaire soit une étape indispensable du processus. Les tribunaux ont toutefois déjà tranché pour l’assuré ayant fourni tous ses documents tout en ayant refusé de se prêter à l’interrogatoire, même si ces décisions font parties d’un courant jurisprudentiel minoritaire.

Il est prudent de noter qu’il n’existe actuellement pas de consensus jurisprudentiel quant à l’obligation de se soumettre à un interrogatoire statutaire lorsque requis par l’assureur. En effet, les circonstances de chaque affaire doivent être analysées en conjonction avec le devoir de collaboration de l’assuré. Il appert que les limites cette collaboration demeurent à être précisés par les tribunaux.

Toutefois, nous avons développé certaines pratiques dans nos dossiers de concert avec les contentieux des assureurs permettant de circonscrire et rendre plus efficient, selon nous, l’étape de l’enquête de l’assureur. Ainsi, n’hésitez pas à nous contacter si vous vous retrouvez devant cette situation.

[1] Nordique, Cie d'assurance du Canada c. Imperial Tobacco Canada Ltd., 2004 CanLII 46627 (QC CS)

[2] Centre de développement familial provincial (1978) inc. c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 4899

[3] Utica Mutual Insurance Company c. Aspler, Goldberg, Joseph Ltd., 2008 QCCS 3811

[4] Cie d’assurance Canadienne Mercantile c. Milinkovitch, [1959] B.R. 186, à la page 188

[5] Voir 3

[6] Martin-Bédard c. Axa Assurances inc., 2007 QCCS 1316

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