Décisions importantes: La décision Walsh et la valeur au jour du sinistre
Dans une décision récente, la Cour a clarifié la méthode d’évaluation de la valeur d’un immeuble au jour du sinistre, notamment lorsque l’assuré choisit de ne pas reconstruire. L’arrêt Walsh c. Intact Insurance Company (2023 QCCS 3562) permet de clarifier l’impact de la valeur d’une réclamation lorsque l’assuré de veut pas reconstruire.
Contexte du litige
En 2005, les demandeurs achètent un immeuble commercial construit en 1965 et entreprennent d’importantes rénovations. En 2014, un incendie ravage entièrement le bâtiment, assuré auprès d’Intact.
Les demandeurs choisissent de ne pas reconstruire. L’assureur verse une indemnité de 726 709,22 $, correspondant à la valeur dépréciée de l’immeuble et aux coûts de démolition. Estimant cette somme insuffisante, les demandeurs réclament une indemnité additionnelle de 838 692,00 $ selon l’évaluation de leur propre expert.
Le Tribunal devait donc déterminer le montant d’indemnité juste et raisonnable, et trancher plusieurs questions clés relatives à l’interprétation de la police d’assurance :
Les coûts de mise aux normes doivent-ils être inclus malgré l’absence de reconstruction ?
Les déficiences préexistantes de l’immeuble sont-elles couvertes ?
Les honoraires professionnels associés à une reconstruction théorique doivent-ils être pris en compte ?
La notion de « valeur au jour du sinistre »
La police d’assurance définissait ainsi la valeur au jour du sinistre :
« Actual cash value: Various factors shall be considered in the determination of actual cash value... including replacement cost less any depreciation and market value... »
Cette définition met en relief les critères à considérer : coût de remplacement, dépréciation, valeur marchande, état du bien et obsolescence.
Des expertises contradictoires
Les approches adoptées divergeaient sensiblement :
Les demandeurs ont déposé une évaluation préparée par un entrepreneur, fondée sur des soumissions réelles obtenues auprès de sous-traitants.
La défenderesse a produit une évaluation technique fondée sur le logiciel Xactimate, appuyée par des analyses d’ingénieurs concernant les normes réglementaires.
La préférence du Tribunal
Le Tribunal a privilégié la méthodologie des demandeurs, jugeant qu’elle reflète mieux la juste valeur marchande.
Cette approche, reposant sur des estimations concurrentielles, réduit le risque de devis gonflés et s’aligne davantage sur la réalité du marché.
À l’inverse, l’évaluation d’Intact, notablement inférieure, a soulevé des doutes quant à sa crédibilité et à la fiabilité des données utilisées.
La question de la mise aux normes
La mise aux normes vise les travaux requis pour rendre un immeuble conforme aux exigences réglementaires actuelles.
L’assureur soutenait que ces coûts ne pouvaient être inclus puisque les demandeurs avaient choisi de ne pas reconstruire.
Le Tribunal rejette cet argument :
La définition de la « valeur au jour du sinistre » n’exclut pas expressément les coûts de mise aux normes.
Ainsi, même en l’absence de reconstruction, ces coûts doivent être intégrés à l’évaluation, l’assureur ne pouvant invoquer l’absence de dépenses réelles pour réduire son obligation d’indemnisation.
La correction des déficiences : une distinction essentielle
Le Tribunal distingue clairement la mise aux normes de la correction de déficiences existantes.
Ces dernières concernent des irrégularités ou infractions déjà présentes avant le sinistre (ex. non-conformité au code du bâtiment).
Puisqu’il ne s’agit pas de dommages causés par l’incendie, les coûts de correction ne sont pas couverts.
La Cour rappelle que, même sans le sinistre, les demandeurs auraient été tenus de procéder à ces correctifs pour se conformer aux normes applicables.
La dépréciation
Les parties reconnaissent que la dépréciation doit être considérée dans le calcul de la valeur au jour du sinistre, mais elles divergeaient sur son ampleur.
Le Tribunal retient la dépréciation calculée par l’expert de la défenderesse, jugeant que les demandeurs n’ont pas démontré qu’un taux moindre devrait s’appliquer.
Enseignements à retenir
Cette décision met en lumière plusieurs points pratiques pour les litiges portant sur l’évaluation de dommages à un bâtiment :
Méthodologie : les tribunaux peuvent privilégier les évaluations fondées sur des données de marché concrètes et vérifiables plutôt que des estimations de l’assureur qui ne se base pas sur la réalité du terrain.
Preuve technique : les outils numériques utilisés par les experts (ex. logiciels d’estimation) doivent être documentés et expliqués pour assurer leur fiabilité.
Planification de l’expertise : il peut être pertinent de confier à l’expert un mandat permettant de présenter plusieurs scénarios d’évaluation selon les postes contestés.
Distinction essentielle :
les coûts de mise aux normes sont inclus dans la valeur au jour du sinistre ;
les coûts de correction des déficiences doivent être exclus.
En conclusion
La décision Walsh c. Intact Insurance Company rappelle que l’évaluation de la valeur d’un immeuble sinistré exige une compréhension nuancée des clauses contractuelles et des réalités techniques du marché.
Pour bien départager les coûts de mise aux normes et ceux liés aux déficiences, le recours à un expert ingénieur demeure une bonne pratique. Cette approche contribue à une évaluation juste, complète et juridiquement défendable.