Dommages punitifs au Québec : Jusqu’où peut-on aller pour connaître la situation financière de l’autre partie?

Lorsqu’une partie réclame des dommages punitifs dans une instance civile au Québec, une question cruciale se pose : jusqu’à quel point peut-elle explorer la situation financière de l’autre partie?

La jurisprudence québécoise démontre clairement que la situation patrimoniale du débiteur est un facteur central, et que les tribunaux n’hésitent pas à ordonner la communication de documents financiers lorsqu’il y a une réclamation pour dommages punitifs.

L’article 1621 C.c.Q. : Le fondement juridique

L’article 1621 du Code civil du Québec est le pilier de l’analyse. Il précise que les dommages punitifs doivent remplir une fonction préventive et dissuasive. Pour y parvenir, le juge doit tenir compte de plusieurs facteurs, dont la gravité de la faute et la situation patrimoniale du débiteur.

La Cour suprême, dans Richard c. Time Inc. (2012 CSC 8), rappelle que le juge doit tenir compte non seulement de la gravité de la faute et de l’ampleur de la réparation compensatoire déjà due, mais aussi de l’état financier du débiteur. C’est ce qui permet de calibrer l’effet dissuasif de la condamnation.

Une exploration financière justifiée

Dans Fillion c. Chiasson (2007 QCCA 570), la Cour d’appel du Québec a affirmé sans détour que la situation patrimoniale du débiteur est un « facteur de première importance » dans la fixation du quantum des dommages punitifs. Le juge ne peut exercer pleinement son pouvoir d’appréciation sans cette information. Une même condamnation aura un effet dissuasif différent selon que le débiteur est fortuné ou impécunieux.

L’objectif n’est pas de ruiner l’un ou d’épargner l’autre, mais bien d’imposer une sanction proportionnée qui aura un véritable effet préventif.

Autrement dit, une somme qui peut paraître importante en chiffres pourrait être insignifiante pour une grande entreprise, et inversement écrasante pour un individu à faibles revenus.

L’accès aux documents financiers : confidentialité

Dans Farias c. Federal Express Canada Corporation (2023 QCCS 900), la défenderesse invoquait la confidentialité de ses états financiers pour refuser leur divulgation. Le tribunal a rejeté cet argument : la confidentialité ne constitue pas un obstacle à la divulgation lorsque les documents sont pertinents. Et ils le sont dès lors que des dommages punitifs sont réclamés, les états financiers deviennent un élément clé de l’évaluation.

Un seuil de sérieux à respecter

Cela dit, les tribunaux exigent que la demande en dommages punitifs soit sérieuse avant d’ordonner la divulgation de tels documents sensibles.

Dans Romanowski c. Gewurz (2016 QCCS 460), le juge précise qu’il ne suffit pas d’alléguer de manière vague des dommages punitifs. Le tribunal doit être convaincu que la réclamation n’est pas « farfelue » ou manifestement mal fondée. Une fois ce seuil franchi, l’examen de la situation patrimoniale du défendeur devient légitime et nécessaire.

Ce filtre protège contre les demandes abusives tout en permettant un accès élargi à l’information financière lorsque la demande est fondée.

 

 En résumé : Ce qu’on peut demander

Voici les types de documents et questions qui peuvent être posés dans le cadre d’une demande pour dommages punitifs :

•             États financiers (bilan, états des résultats);

•             Déclarations fiscales;

•             Informations sur les actifs et passifs;

•             Questions sur les revenus, les dettes, les investissements;

•             Documents bancaires ou commerciaux, selon le contexte.

Ces demandes doivent être proportionnées, pertinentes et liées à la fonction dissuasive des dommages punitifs.

Conclusion

La jurisprudence québécoise est claire : lorsqu’une demande de dommages punitifs est sérieuse, les tribunaux permettent une exploration étendue de la situation financière du débiteur. Cette ouverture vise à garantir que la sanction soit réellement dissuasive et donc efficace. Les avocats doivent donc être prêts à justifier la pertinence de leurs demandes, tout en respectant les principes de confidentialité et de proportionnalité.

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