Encaisser un chèque d’assurance n’est pas toujours une transaction : nuances jurisprudentielles
Dans le domaine de l’assurance, la question de savoir si l’encaissement d’un chèque émis par l’assureur met fin au litige avec l’assuré est souvent soulevés.
En droit québécois, cette situation est généralement analysée à la lumière de l’article 2631 du Code civil du Québec, qui définit la transaction comme un contrat par lequel les parties règlent un litige ou en préviennent un, au moyen de concessions réciproques.
Cependant, dans plusieurs décisions récentes, les tribunaux ont refusé de qualifier l’encaissement d’un chèque comme une transaction, notamment lorsque l’assuré a manifesté de manière claire sa volonté de contester la décision de l’assureur ou lorsque le comportement de l’assureur est incompatible avec l’existence d’un règlement final.
Le fardeau de prouver qu’un encaissement de chèque équivaut à une transaction repose sur l’assureur. Il appartient à celui-ci d’en faire la démonstration, car il lui revient d’invoquer l’existence d’une transaction pour éteindre un recours. La Cour d’appel a d’ailleurs rappelé récemment les critères juridiques à respecter pour qu’une entente consitue véritablement une transaction. Dans 2968-7654 Québec inc. c. 3098-8001 Québec inc., 2022 QCCA 91, elle énonce:
« [101] Peu importe les termes utilisés par les parties pour désigner une entente, il faut, pour que celle-ci constitue une transaction au sens de l’article 2631 C.c.Q., qu’elle réponde aux trois conditions établies par la jurisprudence :
[32] Le juge saisi de l’homologation d’une entente est tenu de s’assurer que les éléments constitutifs d’une transaction sont réunis : (1) une situation litigieuse, (2) une renonciation au recours juridictionnel et (3) des concessions ou réserves réciproques. De plus, il doit s’assurer que son contenu n’est pas contraire à l’ordre public. […]
[102] Il est acquis que la question de savoir s’il y a transaction ou non est une question de fait, laquelle commande déférence. »
Ainsi, la seule présence d’un chèque et son encaissement ne suffisent pas à faire naître une transaction si les trois conditions ne sont pas réunies et si la preuve des intentions des parties fait défaut.
Voici trois décisions clés qui illustrent bien cette position:
Barnes c. Union-Vie, 2008 QCCQ 13191
Encaissement sans renonciation
Dans cette affaire, l’assurée avait encaissé un chèque de remboursement des primes d’assurance vie de son conjoint, mais avait, par le biais de sa procureure, clairement exprimé son intention de contester l’annulation de la police. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas eu de rencontre de volontés sur une transaction:
« La lettre de l’avocate de Mme Barnes est claire quant à ses intentions de réclamer le solde de l’assurance malgré l’encaissement du chèque [...] Le Tribunal ne peut conclure qu’il y a eu transaction. » par. [56]
Ainsi, l’encaissement ne valait pas renonciation à la réclamation.
Trépanier c. Desjardins, 2021 QCCS 4658
L’assureur agit comme s’il n’y avait pas de transaction.
Dans cette décision, les assurés avaient encaissé un chèque accompagné d’une lettre mentionnant qu’il s’agissait d’une “offre finale”. Cependant, après l’encaissement, l’assureur:
a mandaté un évaluateur pour inspecter les travaux;
a accepté l’arbitrage;
et n’a jamais invoqué la fin de non-recevoir pour cause de transaction lors du dépôt de la Demande introductive d’instance.
Le Tribunal a conclu que ces gestes témoignaient d’une renonciation tacite à invoquer une transaction:
« Le Tribunal considère que Desjardins renonce à invoquer une transaction [...] lorsqu’elle mandate Gohier d’effectuer la visite du 9 mars 2007. Il en est de même en acceptant de soumettre le dossier à l’arbitrage. » par. [173-174]
La conduite de l’assureur est donc déterminante : agir comme si le litige continue empêche d’invoquer ultérieurement une transaction.
Théodule c. Axa, 2010 QCCQ 1042
Le silence vaut acceptation si aucune contestation n’est exprimée. À l’inverse, lorsque l’assuré encaisse un chèque sans aucune protestation, réserve ou communication à l’assureur, les tribunaux concluent généralement à l’existence d’une transaction :
« Il a encaissé le chèque correspondant à la prime d’assurance payée sans réserve, protestation ou même questionnement. [...] Cette preuve démontre une absence totale de réaction à la position prise par l’assureur. » par. [32-34]
La décision est claire : le silence de l’assuré face à une offre claire peut être interprété comme une acceptation, d’où l’importance de manifester rapidement et clairement son désaccord.
Conclusion
Il est essentiel de rappeler que l’encaissement d’un chèque offert par l’assureur ne suffit pas, à lui seul, à conclure que le litige est réglé.
Pour qu’un paiement mette véritablement fin à un différend, il doit y avoir une rencontre des volontés : les deux parties doivent clairement manifester leur intention de régler définitivement le litige par ce paiement.
Autrement dit, il faut rechercher s’il existe un véritable accord entre l’assuré et l’assureur, démontrant qu’ils entendent, par cet encaissement, éteindre toute réclamation future découlant du sinistre.
À défaut d’un tel accord de volontés, l’encaissement du chèque, même encaissé sans protestation, ne constitue pas une transaction au sens juridique et n’empêche donc pas l’assuré de poursuivre ses recours.
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